Céline Delaugère est la co-fondatrice d'Eva Engines. Elle était invitée dans le podcast anti-brouillard de Fabien Roques.
A la fois mathématicienne et mannequin, je trouve qu'elle illustre bien un aspect prometteur de l'intelligence artificielle : aider les gens à créer des trucs.
La solution développée par sa start-up consiste à générer la photo réaliste d'un vêtement à partir d'un croquis.
L'objectif est d'accélérer le processus de design en réduisant le temps de création des prototypes.
Comment développer un modèle d'IA parvenant à faire ça ?
Et bien il y a 2 ingrédients dans la recette.
Créer un jeu de données en inversant le cours du temps
Comme souvent, la mise au point d'un algorithme d'IA débute par un jeu de données qui va servir à entraîner un modèle.
D'habitude, le travail d'annotation d'un jeu de données se fait dans le même sens que le modèle que l'on développe.
Par exemple, pour coder un modèle qui reconnait les codes postaux écrits sur une enveloppe, on demande d'abord à des personnes de faire le travail : chacun reçoit une pile de photos d'enveloppes, et renseigne à coté le code postal lu. On commence par faire le travail manuellement, puis on entraîne le modèle à faire pareil.
Mais lorsqu'on souhaite utiliser l'IA pour créer des choses, on inverse le processus.
On part de quelque chose d'abouti et on demande à des personnes d'en faire une esquisse.
- Une photo → un croquis
- Un logo → le nom de la marque et une couleur dominante
- Un article de journal → un plan
- Une musique → un air fredonné.
Ainsi, Eva Engines s'est construit un jeu de données en sollicitant des étudiants designers pour qu'ils dessinent des croquis à partir de photos.
Avec ces données, on peut entraîner le modèle à faire l’inverse : créer une photo à partir d'un croquis.
Mais ça ne suffit pas. Les photos générées ne seront pas réalistes.
Créer un adversaire
Pour le réalisme, on va utiliser un deuxième modèle.
Son rôle sera de distinguer une vraie photo de mode d'une fausse.
Et la voici la seconde astuce : on va le faire combattre avec le premier modèle.
- A chaque fois que le premier modèle parvient à générer une photo qui trompe le second, on pénalise le second.
- Et chaque fois que le second modèle détecte que la photo est fausse (= créée par l'IA), on pénalise le premier.
Au fil des entraînements, le classificateur devient plus performant pour détecter les fausses photos. Mais en parallèle, le générateur devient lui aussi plus performantpour générer des photos suffisamment réalistes pour tromper le classificateur.
Ce combat futuriste entre 2 modèles d'intelligence artificielle permettra d'améliorer le réalisme des photos.
Est-ce vraiment créatif ?
Mais alors les designers vont-ils disparaître ? Suivis peu après de tous les créatifs qui écrivent des textes, imaginent des logos ?
Pas vraiment.
Parce que tout ce qui est généré par l'IA est une forme de copie de quelque chose qui existe déjà.
Le premier modèle ne peut générer qu'une photo à partir d'un croquis qui "ressemble" à ce qu'il a vu dans son jeu d'entraînement.
Et le classificateur va tendre à restreindre la génération des photos à ce qui "ressemble" à de vraies photos.
Ce n'est pas créatif. C'est ressemblant.
Les images générées ne seront que les inspirations issues d'un historique de données passées. Il n'y a pas d'imagination. Les photos ne donneront pas le sentiment d'un truc inédit, jamais vu auparavant.
C'est sans doute la vraie place de l'IA : un assistant. Une extension de l'intelligence humaine permettant de gagner du temps sur les tâches routinières que l'on sait déjà faire.